« La nomination de Michel Barnier : quels enjeux ? »
Le 5 septembre dernier, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier comme nouveau chef du gouvernement et successeur de Gabriel Attal. Cette nomination intervient dans un contexte particulier qui fait suite à la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024 et aux élections législatives qui ont suivi. Après 51 jours et de nombreuses consultations, c’est l’homme issu du parti Les Républicains qui a été désigné. Cette nomination n’avait pas été prévue et a suscité diverses réactions et débats quant à la tradition de nomination, la démocratie française et la dépendance du gouvernement à l’Assemblée nationale.
Par Héloise VIÉ ,
Rédactrice en chef du pôle affaires étrangères,
Etudiante en L2 de Science Politique
Un rapide retour sur la biographie de Michel Barnier
Michel Barnier est un homme de 73 ans avec un fort ancrage savoyard. A ce titre, c’est en Savoie qu’il débute la politique. Il y a été député de 1978 à 1993 et c’est à cette époque le plus jeune député français. Il continue sa carrière en étant nommé quatre fois ministre : de l’Environnement en 1993, au ministère des Affaires européennes en 1995, des Affaires étrangères en 2004 et enfin de l’Agriculture en 2007. C’est un ancien ministre de Jacques Chirac, Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy. Puis il exerce deux mandats de commissaire européen en 1999 et 2012. Mais Michel Barnier est principalement connu pour son rôle fondamental dans les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne lors du Brexit[1]. Cela fait de lui un bon médiateur. C’est donc un homme avec un parcours complet, au profil européen et qui possède aussi des compétences en matière d’environnement. C’est pour cela que Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission Européenne lui a affiché son soutien en déclarant qu’il avait « les intérêts de l’Europe et de la France à cœur ».
Au niveau de son profil politique[2] Michel Barnier avait été candidat du parti Les Républicains pour les présidentielles en 2022 mais s'était retrouvé à la troisième place de son parti. Parmi les points forts de son programme on retrouvait la retraite à 65 ans, la réduction des impôts, la réduction des dépenses publiques, des positions fermes sur l’immigration avec notamment un moratoire, pas de VIe république, une relance du nucléaire et enfin l’encouragement du travail et du mérite au détriment de l’assistanat. Globalement, il se définit comme un « gaulliste social »[3] et un « européen humaniste ». Pour ce qui est de son programme politique aujourd'hui, il s’inscrit dans la continuité des Républicains. Et lors de la passation de pouvoir le 5 septembre, Michel Barnier a promis « des changements et des ruptures ». Il a aussi précisé avoir pour objectif de construire un gouvernement « équilibré, représentatif, pluriel[4] ». Il n’exclut donc pas la possibilité du dialogue avec les autres partis politiques.
La tradition de nomination : un gage de stabilité
La nomination a soulevé divers débats, le premier étant celui de la tradition de nomination du chef du gouvernement. Selon l’article 8 de la Constitution de la Ve République, « le Président de la République nomme le Premier ministre ». Si aucune précision n’est donnée quant à la nomination même du chef du gouvernement, la tradition française en est tout autre. C’est en effet parmi la majorité à l’Assemblée nationale qu’est désigné le premier ministre. Le Président peut être de la même couleur politique que la majorité parlementaire ou non. Dans le cas inverse, les deux chefs respectifs de l’Etat et du gouvernement sont amenés à collaborer, dans le cadre de la cohabitation. C’est une configuration politique originale qui s’est imposée sous la Ve République. Le Président de la République a pu nommer des chefs de gouvernement dont les appartenances politiques ne leur étaient pas similaires. Cette mise en valeur de la majorité parlementaire par le premier ministre est une tradition républicaine mise en place afin de garantir la stabilité gouvernementale[5]. L’article 49 de la Constitution prévoit en effet que le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. C’est afin d’éviter la censure que la cohérence entre le gouvernement et la majorité parlementaire intervient. Et même en cas de cohabitation où les pouvoirs respectifs des deux chefs sont réduits, la stabilité n’est pas remise en question car la majorité à l’Assemblée nationale ne censure pas le Premier ministre.
Et c’est justement la nomination de Michel Barnier qui rompt avec cette tradition républicaine. Celui-ci est issu de LR, soit un parti ayant obtenu 66 sièges (alliés compris)[6] sur 577 aux dernières élections législatives. Bien qu’aucun parti n’ait obtenu la majorité absolue, LR ne fait pas partie des trois partis principaux (Nouveau Front populaire, Renaissance, Rassemblement national). La décision d’Emmanuel Macron est ainsi grandement remise en cause. Celui-ci n’a pas nommé un Premier ministre issu de la tendance majoritaire parlementaire, soit du Nouveau Front populaire. Le NFP possède en effet une majorité relative avec 180 sièges. Le choix d’Emmanuel Macron a été de choisir une « figure de consensus dans des partis pivots », selon le politologue Olivier Rouquan[7]. Ce contournement de la tradition républicaine va-t-il peser sur la stabilité du gouvernement à l'Assemblée nationale ou bien au contraire permettre au gouvernement de durer le temps du mandat d’Emmanuel Macron ? Cet écart à la tradition est-il le signe d’un contournement de l’expression démocratique par l’ignorance du résultat des urnes ?
Macron-Barnier, une quatrième cohabitation ?
S’il y a déjà eu trois expériences de cohabitation en France (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), la question se pose quant à la différence de couleur politique entre Emmanuel Macron et Michel Barnier. Toutefois, cette affirmation reste à nuancer car il ne s’agit pas de partis politiques diamétralement opposés mais respectivement du centre et du centre-droit. Bien que LR et Renaissance soient deux groupes politiques distincts, ils sont plus proches politiquement que François Mitterrand (socialiste) et Jacques Chirac (UMP) en 1986 par exemple. Il s’agissait alors de deux blocs de droite et de gauche clairement identifiés. De plus, le terme de « cohabitation » n’est pas utilisé à l’Elysée mais on parle plutôt d’une « collaboration exigeante »[8]. Le président du MoDem, François Bayrou, parle lui de « coresponsabilité ».
C’est un débat sémantique qui reflète une situation nouvelle dans la Ve République. Bien que la pratique de la cohabitation se soit institutionnalisée[9] depuis 1958, la nomination de Michel Barnier apporte encore une nouveauté dans l’histoire politique française.
La question de la dépendance du gouvernement à l’Assemblée nationale
Au-delà de tous les débats suscités, une question voire une inquiétude est soulignée. Le parti Les Républicains se situant entre Renaissance et le Rassemblement National, il devra adopter une stratégie « d’entre-deux » afin de satisfaire ses voisins. Cela fait que le gouvernement pourrait se trouver dans une situation de dépendance par rapport à ses voisins et en particulier le Rassemblement National[10], qui, même sans majorité, reste le troisième groupe le plus important à l’Assemblée nationale. Cette nomination « ouvre de facto la voie à un gouvernement soutenu par l’extrême droite » selon les mots de Frédéric Sawicki. En effet, dès la nomination de Michel Barnier, le Rassemblement National a affirmé ne pas censurer le gouvernement immédiatement comme le fait le Nouveau Front Populaire, mais attendre les propositions qui seront faites. Marine le Pen a en effet déclaré que le nouveau gouvernement sera « jugé sur les actes ». Cela montre donc qu’en cas de censure du Rassemblement National, le gouvernement Barnier serait déjà condamné. Cette dépendance pourrait alors limiter le champ d’action du gouvernement, qui serait condamné à ne pas engager de réformes trop importantes, au risque de contrarier un de leurs voisins. Le Rassemblement National se place ainsi dans une position d’arbitre et de décideur.
L’enjeu de la représentativité du peuple et plus largement de la démocratie
Un autre enjeu soulevé par cette nomination est démocratique. Si l’on revient sur l’origine grecque du terme de démocratie, « dêmos » désigne le peuple (et plus précisément l’assemblée des citoyens) et « kratos » : le pouvoir [11]. La démocratie est fondée sur les idéaux de liberté et de pouvoir donnés directement aux citoyens. Néanmoins aujourd'hui la démocratie telle qu’on l’entend passe par le biais de la représentation[12], qui permet de faire entendre la voix des citoyens indirectement. C’est justement cette représentativité du peuple comme caractéristique démocratique qui a fait débat depuis la nomination de Michel Barnier.
Pourtant, en ne nommant pas Lucie Castets, candidate choisie à l’unanimité par la gauche, une colère a été exprimée quant à un choix présidentiel qui ne respecterait pas le choix des Français. Cette nomination a été caractérisée comme un « mépris du vote des électeurs » selon Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT ou encore comme un « déni de démocratie ». Mathilde Panot, députée LFI dénonce un « coup de force inacceptable ». Une autre critique a été émise par la gauche quant au vote de Michel Barnier contre la dépénalisation de l’homosexualité en 1981[13]. Ces différentes critiques ont par la suite donné lieu à plusieurs manifestations[14].
Finalement, la stratégie « d’en même temps » d’Emmanuel Macron a été mise en place afin d’essayer de garantir une stabilité gouvernementale jusqu’à 2027 sans nommer ni le NFP ni le RN et en optant pour un parti traditionnel modéré. Michel Barnier a ainsi été nommé pour tenir jusqu’à la fin du mandat macronien, en « collaborant étroitement » avec le Président de la République. Cependant, cette prise de décision n’exclut pas forcément la censure de la part du Rassemblement national et les place comme l'arbitre de la nomination. Cet entre-deux choisi par le chef d’Etat n’est cependant pas sans conséquences car il questionne le fonctionnement démocratique de l’Etat et l’utilité du vote, dans un contexte d’abstentionnisme important[15].
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[1] N. TAYLOR-ROSNER dans Courrier international : “Vu de l’étranger. Michel Barnier, le “négociateur chevronné” du Brexit chargé de “déminer” la crise politique française”, 06/09/24
[2] G. TABARD dans Le Figaro : “Quel parcours pour Michel Barnier, vingt-sixième premier ministre de la Ve République ?”, 10/09/24
[3] E. CAMPION dans Marianne : "Gaulliste social" ou post-gaulliste libéral ? La véritable histoire de Michel Barnier», 13/09/2024
[4] F. FRESSOZ dans Le Monde : « Michel Barnier doit avoir l’audace de s’affranchir très vite de ceux qui le tiennent en joue : les sortants comme les revenants », 17/09/24
[5] F. JANNIC-CHERBONNEL, L. CHAGNON dans France info, : “Législatives 2024 : nomination d'un Premier ministre, blocage des institutions... La constitutionnaliste Marie-Anne Cohendet a répondu à vos questions”, 9/07/24
[6] T. GAUDIOT dans Statista : «Le nouveau visage de l’Assemblée nationale», 8/07/2024
[7] R. DAVID dans Public Sénat : "Premier ministre, « Emmanuel Macron met la stabilité institutionnelle du pays à la merci du RN »” , 05/09/24
[8] L. HAUSHALTER dans Le Figaro : “«On débranche les fils avec Matignon» : à l’Élysée, déjà un parfum de cohabitation avec Michel Barnier”, 05/09/24
[9] “Comment la Constitution organise-t-elle la cohabitation ?” dans Conseil Constitutionnel, 2021
[10] F. SAWICKI dans Le Monde : « La survie du nouveau gouvernement sera désormais entre les mains du Rassemblement national », 6/09/24
[11] A. HEYMANN-DOAT dans Les régimes politiques, chapitre 3, 1998
[12] J. HOLEINDRE dans Constructif : “Une brève histoire de la démocratie, d’Athènes à nos jours”, p. 14-17, 2022
[13] M. NUTARELLI dans Public Sénat : “Le vote de Michel Barnier contre la dépénalisation de l’homosexualité est dénoncé par la gauche et les associations”, 05/09/24
[14] C. DE BLASI dans Libération : “Manifestation «contre le gouvernement Macron-Barnier» : à Paris, le défilé d’une gauche frustrée, en rangs clairsemés”, 21/09/24
[15]A. LABOSSE, C. THOUILLEUX dans Insee flash Auvergne Rhône Alpes, n°111, 17/11/22