« A l’heure où le football français ne séduit plus la petite lucarne »
Par Millo PASQUALI,
Rédacteur en chef du pôle juridique,
Etudiant en M1 – Droit des affaires et Magistère de Droit des Activités Economiques
Le 12 septembre 2023, la Ligue de Football Professionnel (LFP) lançait l’appel à candidatures relatif aux droits d’exploitation audiovisuelle de la Ligue 1 McDonald’s pour le cycle 2024-2029. Après les multiples soubresauts connus durant la période 2020-2024, le football français devait se relancer et repenser son modèle économique.
Cette commercialisation s’inscrit, en effet, dans un « contexte dramatique », affirme volontiers Vincent Labrune, président actuel de la LFP. L’annonce de l’arrêt de la diffusion des matchs par le groupe audiovisuel Mediapro, seulement quatre mois après le lancement de sa chaîne Telefoot, avait plongé le football français dans une période pétrie d’incertitudes. Frappé de plein fouet par la crise sanitaire, le média espagnol avait été contraint de se retirer, laissant derrière lui des lots vacants à réattribuer ainsi qu’un traumatisme profond pour le football hexagonal[1].
Aux termes de l’article L. 333-1 du Code du Sport, les droits d’exploitation de compétition de football sont détenus par la Fédération française de football, qui les a cédés aux clubs professionnels les disputant. Sur le fondement de l’article L. 132-1 du Code du Sport, « la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel du championnat de France de Ligue 1 » sont déléguées à la LFP, personne morale de droit privé chargée à ce titre d'une mission de service public administratif[2]. L’article L. 333‑2 du Code du Sport donne en outre compétence à la LFP pour commercialiser les droits médias domestiques et internationaux du football français.
La commercialisation de ces droits poursuit des enjeux pléthoriques. Elle assure d’abord d’irriguer les finances des clubs professionnels, pour lesquels elle représente entre 50 % et 75 % des revenus. Mécaniquement, une baisse de la valeur des droits télévisés entrainerait a fortiori une réduction significative de la masse salariale des clubs, se traduisant sur le plan sportif par la fuite des talents vers d’autres championnats. Au-delà, elle gage le fonctionnement de l’ensemble du football amateur français. Depuis 2000, les organisateurs de manifestations ou compétitions sportives établis en France sont tenus de verser une contribution de 5 % sur la cession des droits de retransmission TV. Cette taxe, dite taxe « Buffet », est affectée au budget de l’Agence nationale du sport, groupement d’intérêt public chargé de mettre en œuvre les politiques publiques en matière de sport. Ce modèle économique solidaire signifie donc qu’une défaillance d’un diffuseur, comme celle connue en 2020, crée de facto une crise systémique qui fragilise le financement global du service public du sport.
L’avènement de ce nouveau cycle revêtait donc une importance stratégique pour le football français. Pour l’occasion, la LFP avait remanié sa programmation en proposant deux lots premium : le premier comprend trois rencontres de choix 1, 2 (exclusivité) et 4 (co-diffusion), le second comprenant quant à lui l'intégralité des rencontres de chaque journée avec l'exclusivité des rencontres de choix 5 à 9 et la co-diffusion des rencontres de choix 4. Alors que Vincent Labrune espérait atteindre le milliard d’euros pour l’ensemble de ces lots, la plate-forme DAZN a pu acquérir le premier pour 400 millions d’euros, tandis que la chaîne qatarie BeIN a remporté le second pour 100 millions d’euros. Le désenchantement semble donc se poursuivre pour le football français, pour qui ce nouvel accord signe un énième aveu de faiblesse.
Si la mise en œuvre des négociations s’est avérée particulièrement âpre dans la mesure où les candidats sérieux étaient quasi-inexistants, le pari a été fait de miser sur la plateforme de streaming DAZN jusqu’en 2029. Disons-le d’emblée, l’arrivée de ce nouvel opérateur ne suscite guère d’enthousiasme pour l’avenir du ballon rond.
D’une part, la plateforme britannique pâtit aujourd’hui d’une stratégie financière trop agressive. Pour cause, leur grille tarifaire a très vite suscité un vif tollé médiatique : le client se retrouve confronté à un choix cornélien – en substance la souscription d’un abonnement sans engagement proposé à 39,99 euros par mois contre l’option d’un abonnement annuel proposé à 29,99 euros par mois. Le contenu de l’offre, quant à lui, reste pauvre. Les abonnés décrient le manque de produits d’appel, la catalogue n’étant composé que du championnat de basket français, de la Ligue des champions féminine, du MMA et de la boxe. L’expérience frustre elle-aussi, compte-tenu de la faible qualité visuelle (pas de 4k ou de multiplex) et de l’absence d’émissions ajoutant la plus-value de l’expertise.
Un pan plus inquiétant de l’offre du média britannique se révèle à la lecture de leurs stipulations contractuelles. Le juriste notera l’absence de conditions générales de vente[3] au profit d’une rubrique dénommée « Conditions d’utilisation », où l’on retrouve certaines clauses à la teneur juridique particulièrement floue. Entre autres, une clause fait état de l’application du droit de la common law, combiné au droit de la consommation français[4]. Il est difficile d’imaginer, faute de contentieux, les dispositions anglaises qui pourraient s’appliquer aux utilisateurs français. Du reste, cette clause laisse à penser que la protection du consommateur ne sera pas garantie en cas de survenance d’un litige dans l’exécution du contrat.
D’autre part, la stratégie financière du groupe nourrit de nombreuses inquiétudes depuis sa création en 2016, celle-ci étant basée sur une politique d’investissements massifs afin d’engranger de nombreuses parts de marché qui n’ont toujours pas atteint le seuil de rentabilité. Bien qu’elles soient aujourd’hui comblées par la fortune personnelle de son fondateur, Leonard Blavatnik, de nombreux clubs ont sonné l’alerte sur la viabilité du groupe, d’autant que la Ligue 1 peine à se remettre du fiasco Mediapro.
En réponse, un boycott au vitriol a été lancé sur les réseaux sociaux à l’annonce de la reprise du championnat. Si l’écran noir a été évité cette saison, un grand nombre de passionnés indignés ont migré vers la retransmission pirate, avec en première ligne les sites de streaming illégaux ainsi que les services d'IPTV (Internet protocol television). A cet égard, durant le premier match de la saison opposant Le Havre au Paris Saint Germain, un flux de diffusion de la plate-forme Telegram comptabilisait à lui seul plus de 50 000 spectateurs. Rappelons-le, le droit de diffuser un évènement sportif est un produit dont la valeur réside dans son exclusivité. Il s’agit d’un « bien de club » selon la typologie de Samuelson[5], caractérisé par sa rivalité faible et son excluabilité forte. Pour contrer ces initiatives parasites, les acteurs institutionnels jouissent donc d’importants moyens d’actions.
Parmi ceux-ci, l’article L. 333-10 du Code du sport[6] permet aux titulaires des droits de « saisir le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé, aux fins d'obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier », notamment par le blocage, le retrait ou le déréférencement immédiat du site[7]. Par le truchement du prononcé de « mesures dynamiques », l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) peut être saisie lorsque le site n'est pas identifié au moment de l'ordonnance rendue par le tribunal et est dès lors compétente pour enjoindre les fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès à ces services. Le 12 août, la LFP a ainsi pu se féliciter d’obtenir du Tribunal judiciaire de Paris le blocage de sites de streaming en direct et de services d'IPTV diffusant sans autorisation les championnats des ligues 1 et 2, pour la première fois, en amont du début d'une saison sportive[8].
Du côté du spectateur, le visionnage de rencontres sur des plateformes de streaming ou via des IPTV diffusant du contenu obtenu illégalement s’apparenterait à du recel de contrefaçon[9], puni par cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende[10]. Bien que la traque actuelle semble se diriger davantage vers les diffuseurs de ces contenus pirates, il ne faut pas omettre que ces actes de contrefaçon constituent un manque à gagner colossal pour les clubs aux finances les plus fragiles ainsi que pour le monde amateur. La protection des droits sportifs est heureuse, puisqu’elle préserve in fine la valeur du football français.
La réalité du marché ne peut cependant être éludée. Le désengagement croissant des fidèles adhérents du football français montre que la corde a été définitivement rompue. Si les diffuseurs successifs ont tenté de relever le défi avec plus ou moins de succès, l’heure est venue pour les ayants droits de refondre leur stratégie. Inadaptée à la faible attractivité de la Ligue 1, celle-ci met aujourd’hui en péril la possibilité pour tout passionné de suivre le championnat français à un prix raisonnable face à une offre de plus en plus coûteuse et morcelée. En particulier, l’allotissement des droits télévisés qui, à court terme, permet d’augmenter la valeur de la cession totale des droits, semble avoir désormais atteint sa phase d’essoufflement. Les dispositions issues de la loi dite « Lamour »[11] entourant la commercialisation des droits télévisés de la première division française obligent à l’organisation d’un appel d’offres ainsi qu’à la constitution de différents lots. Ces impératifs, sources des défaillances actuelles, poussent à des négociations déséquilibrées face à un produit footballistique déprécié.
Un espoir persiste. Consciente des risques entourant son nouveau partenaire, la LFP a assorti son deal avec DAZN d’une clause de sortie pouvant être activée au bout de deux ans, ouvrant ainsi la voie à une possible renégociation des droits d’ici 2026. Si la situation perdure, il est temps pour la fédération et plus largement pour l’ensemble des pouvoirs publics, eu égard aux enjeux d’intérêt général sous-jacents, d’amorcer conjointement une réforme d’ampleur.
L’ordre du jour est à la sécurisation des droits TV de la Ligue 1. Dans cette optique, le projet de création d’une chaîne administrée directement par la LFP semble être une solution satisfaisante au vu du contexte actuel[12]. En plus de réduire drastiquement le recours aux diffusions pirates, cette initiative, assurant une offre unique viable aux abonnés, aurait pour avantage de redynamiser les rapports de force entre diffuseurs et fédération. Surtout, une fois le produit « football » définitivement stimulé, la réouverture à la concurrence des droits médias et le probable retour d’opérateurs historiques comme Canal + rassurerait le public, pour qui l’absence de la chaîne cryptée à la table des négociations a été très mal vécue. Reste désormais aux clubs français, mis à mal ces dernières années, d’accepter de temporairement « se serrer la ceinture ». Le législateur, de son côté, serait-il prêt à siffler le coup d’envoi ?
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[1] V. CA Paris, 30 juin 2022, n° 21/13216, Sté Groupe Canal+ SA, obs. D. BOSCO.
[2] CE, 28 oct. 2021, n° 445699.
[3] Article L. 441-1, Code de Commerce.
[4] La clause 19 des Conditions d’utilisation est rédigé dans les termes suivants : « les présentes Conditions sont exclusivement régies et interprétées en vertu des lois d’Angleterre et du Pays de Galles, dans toute la mesure permise de droit. Le droit impératif concernant la protection des consommateurs de votre pays reste également en vigueur ».
[5] Paul A. Samuelson, “The Pure Theory of Public Expenditure”, The Review of Economics and Statistics, Vol. 36, No. 4. (Nov., 1954), pp. 387-389.
[6] Créé par la Loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.
[7] P. SIRINELLI, « Droits du foot et contrefaçon », Dalloz IP/IT, 2024, p. 429.
[8] (2024, 12 août). « Nouvelle victoire judiciaire dans la lutte contre le piratage des matchs de ligue 1 Mcdonald’s et de ligue 2 BKT », Ligue de Football professionnel. https://www.lfp.fr/article/nouvelle-victoire-judiciaire-dans-la-lutte-contre-le-piratage-des-matchs-de-ligue-1-mcdonald-s-et-de-ligue-2-bkt.
[9] Si tant est que l’utilisateur ait conscience du caractère contrefaisant des contenus qu’il consomme
(J. RENOUARD, Traité des droits d'auteur dans la littérature, les sciences et les Beaux-Arts, 1839, t. 2, n° 229, p. 398).
[10] Article 321-1, Code pénal.
[11] Loi n° 2003-708 du 1 août 2003 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.
[12] C. LEPETIT, « Ligue 1 Uber Eats (L1) : entre espoirs de remontada et craintes d'une contre-attaque », Jurisport, 2024, n° 255, p. 18.