« Arrestation de Paul Watson : Qu'en dit le droit international ? »
Fondateur de l’organisation de défense des océans et de la biodiversité marine Sea Shepherd et fervent défenseur des baleines en Antarctique, le militant Paul Watson a été arrêté le 21 juillet dernier lors d’une escale à Nuuk, au Groenland. De passage dans la capitale du territoire autonome danois pour se ravitailler en carburant, il était en route avec son navire, le John-Paul-DeJoria-II, afin d’intercepter un baleinier nippon, le Kangei Maru.
Par Clémence Chrétien de Valence,
Directrice Générale du pôle communication,
Etudiante en Licence 2 de Droit
Il y a douze ans, le Japon requérait un mandat d’arrêt international contre Paul Watson pour « complicité d’agression » et d’« intrusion sur un navire » après des faits survenus dans l’océan austral en 2010, exigeant de ce fait son extradition en vue de le juger sur le territoire nippon. Ces deux accusations faisaient suite à l’abordage du navire japonais Shonan Maru No 2 par Pete Bethune[1], alors capitaine d’un bateau de Sea Shepherd, dans le but d’entraver la pêche à la baleine. Il aurait blessé au visage un marin nippon lors de cet incident. Ce dernier a été détenu à bord du Shonan Maru No 2 et renvoyé au Japon afin d’y être jugé. Il y a été condamné à une peine avec sursis.
Paul Watson est l’un des militants de la première heure de l’organisation non-gouvernementale Greenpeace, qu’il quitte en 1977 du fait de différends quant aux modes d’action militants à employer. La même année, il crée l’organisation Sea Shepherd, sous les couleurs de laquelle il entreprend des abordages en pleine mer ou encore des sabotages de navires à quai. Ces méthodes d’action, bien qu’à l’origine de la notoriété du capitaine et de son organisation, sont depuis des décennies dénoncées et condamnées par ses adversaires. En 2022, il est écarté de Sea Shepherd, après de nouveaux désaccords internes qui entraînent une scission, et décide de créer une nouvelle organisation : la Captain Paul Watson Foundation (CPWF).
La « notice rouge » - autre nom du mandat d’arrêt international - de Paul Watson est fondée sur une demande émise par le Japon, ce qui n’implique pas qu’il soit nécessairement coupable. Autrement dit, la présomption d’innocence à son égard s’applique toujours. Le premier août 2024, soit 10 jours après l’arrestation de Paul Watson par la police danoise, le Japon a formellement adressé la demande de son extradition au Danemark.
Deux traités internationaux permettent au Japon d’appuyer juridiquement ces accusations portées contre Paul Watson. En effet, en vertu de la Convention de Montego Bay de 1982, le Japon peut accorder sa nationalité à ses navires. Il l’a donc fait pour le Shonan Maru No 2, s’accordant alors une juridiction exclusive sur celui-ci lorsqu’il se trouve en haute mer, dans les eaux internationales. Cela signifie que l’abordage du Shonan Maru No 2 peut être considéré comme une atteinte directe au territoire nippon. Le Japon peut également se fonder juridiquement sur le fait que cet abordage serait un acte de piraterie en démontrant que l’abordage a consisté en « des actes illégaux de violence ou de détention, ou de tout acte de déprédation, commis à des fins privées par l’équipage ou les passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, et dirigés […] en haute mer, contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens se trouvant à bord de ce navire »[2]. Il reste au Japon, de prouver que l’action était réellement menée à des « fins privées ».
La Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime de 1988 pourrait également s’appliquer. En effet, ce traité accorde aux États la juridiction pour certains types d’infractions lorsqu’elles sont commises à bord d’un navire navigant sous ses couleurs. Ainsi, le Japon pourrait soutenir que les actions présumées de Watson et des membres de l’équipage relèvent d’« un acte de violence à l’encontre d’une personne à bord d’un navire si cet acte est susceptible de compromettre la sécurité de la navigation de ce navire »[3].
L'extradition entre le Danemark et le Japon est régie à la fois par les accords bilatéraux et le droit national danois. La loi danoise sur l'extradition encadre strictement cette procédure, en imposant des limitations afin d’éviter les doubles poursuites concernant les mêmes faits ou en cas de risques humanitaires sérieux. L’extradition ne s’applique pas aux poursuites si les faits ne reprochés ne constituent pas une infraction au Danemark, si les poursuites ont été abandonnées, ou lorsqu’un tribunal reconnaît qu’il existe un risque pour la personne concernée. Dans le cadre de l'affaire Watson, le Danemark pourrait décider de suspendre ou de refuser l'extradition pour ces motifs, ce qui illustre la dimension à la fois juridique et politique des procédures d'extradition.
Au regard de ces considérations de politique étrangère, d’autres pays, comme la France[4], ont demandé au Danemark de renoncer à l’arrestation et de ne pas accepter la demande d’extradition formulée par le Japon. Cela pourrait s’avérer efficace dans de tels cas, en particulier dans les pays où l’extradition est laissée à la discrétion du ministre concerné. Dans ce contexte, le Japon pourrait encore renoncer à son mandat d’arrêt, compte tenu du fait qu’il date de plus de dix ans, ou bien décider de poursuivre Watson en vue de dissuader d’autres militants anti-chasse à la baleine. Cependant, une telle décision risquerait d'entraîner des critiques internationales, en raison de la faible tolérance actuelle de la communauté internationale envers la chasse à la baleine. Depuis son retrait de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine et de son organe – la Commission baleinière internationale - en 2019[5], le Japon a repris la chasse à des fins commerciales. A ce jour, le pays demeure le principal marché de viande de baleine, malgré une forte baisse de la consommation dans le pays depuis un demi-siècle[6].
La demande d'extradition de Paul Watson, devant initialement être examinée le 4 septembre 2024, a été reportée au 23 octobre prochain après un premier report, laissant entrevoir d'importantes répercussions diplomatiques.
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[1] McCurry, J. (2010, 15 Février). « Japanese ship detains anti-whaling activist », The Guardian. https://www.theguardian.com/environment/2010/feb/15/activist-boards-whaling-ship
[2] Article 101 de la Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer
[3] Article 8bis du Protocole de 2005 relatif à la Convention SUA
[4] KHOUDI, Y. (2024, 22 Juillet). « Pourquoi le militant écologiste Paul Watson a été arrêté au Groenland ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/en/france/article/2024/07/23/macron-presses-against-anti-whaling-activist-s-extradition_6695602_7.html
[5] (2018, 20 décembre). « Japan to withdraw from IWC to resume commercial whaling: sources ». Kyodo News. https://english.kyodonews.net/news/2018/12/05bd54236e5a-urgent-japan-to-withdraw-from-iwc-to-resume-commercial-whaling-sources.html
[6] FOBAR, R. (2019, 3 janvier). « Le Japon reprend la pêche commerciale à la baleine ». National Geographic. https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2018/12/le-japon-reprendra-la-peche-commerciale-la-baleine-des-le-mois-de-juillet#:~:text=Le%20Japon%20est%20le%20principal,cette%20derni%C3%A8re%20y%20est%20limit%C3%A9e.